Billets qui ont 'Le Creusot' comme ville.

Troisième jour

Afin de tenter de ramer à la fraîche, nous avons avancé l'heure de départ… d'un quart d'heure. Cependant, comme par ailleurs le soleil est voilé, il fait un ou deux degrés de moins.

Chaque jour avant de quitter le gîte JP nous donne «la compo», c'est-à-dire dans quel bateau nous allons ramer et avec qui. Certains sont déçus et le cachent plus ou moins bien. Je m'attendais à ramer dans le quatre de couple après mon petit tour en skiff hier, mais je suis à nouveau en huit, les trois hommes au centre, Fleur et Clarisse déchargées des fonctions de nage.
L'ehpad est de sortie!
L'anecdote est en passe de devenir proverbiale.

Retour au gîte, plateau-déjeuner, tour de table sur nos impressions, Pascal nous confie sa surprise devant nos progrès: «je ne pensais pas voir autant de différences en trois jours».
Avouons qu'il ne nous tient pas en très haute estime: il a entraîné le bataillon de Joinville, nous sommes âgés (relativement!) et amateurs, je me demande pourquoi il a accepté de venir: pour le défi? parce qu'il s'ennuyait? Il était prévu de nous filmer, de commenter les vidéos, les défauts: sans explication, cela n'est pas le cas. Pascal trouve-t-il humiliant de souligner les défauts d’un rameur devant tous, a-t-il eu de mauvaises expériences (comme l'a laissée entendre une remarque hier)? Sur l'eau, il ne donne que des indications générales, des principes, rarement il reprend un rameur en particulier.

Au café, à ma surprise et mon certain embarras, il se lance dans le récit de la décadence du club de Marly: second club français dans les années 80, les relations amoureuses entre un entraîneur et une cadette (c'est-à-dire une mineure) ont fait exploser le club, les membres du comité directeur prenant parti pour ou contre cet entraîneur jusqu'à tous démissionner.
Le club a alors basculé davantage vers le loisir que la compétition et n'a jamais retrouvé son éclat, car, Pascal en est persuadé, un club d'aviron vit autour de la compétition.
Un membre du comité directeur de l'ANFA prend alors la parole: le comité directeur de notre club va sans doute être profondément renouvelé dans l'année qui vient, il s'agit pour nous de savoir ce que nous voulons faire du club, continuer dans la compétition (avec tout ce que cela implique d'investissement en matériel et spécialisation de certains bateaux) ou devenir davantage un club destiné aux loisirs (sachant qu'il y a deux sortes de rameurs loisirs, les loisirs engagés comme nous, et les loisirs touristes qui viennent consommer deux ou trois heures de grand air par semaine (ce qui est tout à fait concevable tant qu'ils prennent soin du matériel)).

C'est donc cela qui est en jeu, tout s'éclaire. Il s'agit de nous exposer les décisions que nous allons devoir prendre bientôt.
Je comprends mieux une conversation que j'ai eue mercredi dernier.
Elle portait sur l'idée que les jeunes, les mineurs, puissent ramer en section loisir. Ce n'est pas que ce soit impossible aujourd'hui (rien ne l'interdit), mais ce n'est pas prévu: un adolescent qui se présente à un club d'aviron sera toujours inscrit en compétition, avec le volume d'heures d'entraînement qui correspond — sauf à refuser et à basculer en loisir — donc avec personne de son âge — et à abandonner. Cela a pour conséquence à Fontainebleau qu'il y a très peu de jeunes, les parents favorisant généralement les études.

Mercredi soir la rameuse en face de moi m'avait raconté qu'elle avait découragé son fils de continuer la compétition: «il avait des résultats en cadet, mais après? On ne peut pas en faire une profession».
Je l’avais regardé sans comprendre, presque choquée: j’ai été élevée dans l’idée qu’avoir la capacité d’obtenir des résultats sportifs1 était un don du ciel qu’il était un devoir de cultiver; jamais il ne me serait venu à l’idée de décourager un enfant qui aurait eu de tels dons (j’aurais tellement aimé en avoir moi-même).
— Mais à quoi bon? Qu’est-ce qu’il va en faire? Je ne voulais pas qu’il rate ses études à cause de ça.
Là aussi je suis à des années-lumière d’un tel raisonnement: pour moi il est toujours allé de soi que rajouter des contraintes (comme de nombreuses heures d’entraînement) favorisait plutôt la réussite scolaire ou universitaire, en obligeant à la concentration, en évitant l’éparpillement ou la dispersion.
Je suppose que c’est la réflexion de quelqu’un qui n’a jamais eu de problèmes en classe. Je ne me rends pas compte.
Toujours est-il que si les parents pensent cela, la France n’est pas près d’aligner les records sportifs. D’un autre côté, ce n’est pas nouveau, j’ai toujours (ie, depuis les années 80, lors des médailles de Thierry Vigneron à la perche) entendu dire que la France n’avait pas organisé de filière pour les sportifs.

Sieste, retour sur l’eau, toujours en huit, suivis par JP.
Je me fais gourmander par Micheline qui trouve que je parle trop: «il y a un barreur, une nage, tu n’as rien à dire».
Comme c’était aussi le reproche que me faisaient les filles du CNF, il faut croire que c’est vrai. Il faut que je fasse attention.

Retour au gîte sur le mont Saint-Vincent (photo à 21h05).

le creusot vue du Mont Saint Vincent-21h05

Lancement du barbecue, braises. Ce soir c’est côte de boeuf, quatre côtes pour vingt-deux. Délicieux. Puis chansons à boire, danses, agitation. Quand la vaisselle et le rangement sont finis (nous participons comme ça vient, tout est fait dans la bonne humeur, sans organisation préétablie mais avec efficacité), minuit approche. Je monte dans ma chambre dans l’espoir de bloguer mais je tombe de sommeil sur mon ordi.

Bien plus tard j’entendrai les trois autres se coucher.

Note
1 : ou des résultats scolaires, intellectuels, ou une aptitude musicale, etc

Sous les étoiles

Arrivés sur le bassin vers neuf heures, mais le temps de s'échauffer et sortir les bateaux il est déjà dix heures et il commence à faire très chaud.

A nouveau en quatre sans, mais avec des rameurs différents : Michel babord, moi tribord, Micheline babord et Philippe qui accepte de prendre la barre au pied. La sortie est cahotique; malgré les exercices nous n'arrivons pas à nous caler, ce qui gêne beaucoup Micheline. Nous attendons en vain un entraîneur dont nous espérons les conseils (nous apprendrons plus tard qu'il y avait des problèmes de réglage avec le quatre de couple) et en désespoir de cause nous rentrons au ponton pour changer la composition du bateau. Je prends la nage, Micheline, puis Philippe puis Michel, c'est-à-dire que nous changeons tous de bord (en pointe, je rappelle que nous n'avons qu'une rame: nous changeons tous de côté).
Nous repartons avec précaution, et c'est sans doute cette précaution qui nous permet de trouver un meilleur équilibre.

Plateau repas amené par un traiteur (solution astucieuse qui évite une grande part de courses/cuisine/vaisselle, même s'il en reste toujours un peu). La chaleur est torride, il faut attendre la fin de l'après-midi pour repartir sur l'eau. Séance de technique vidéo dans la salle des ergos, je pose une ou deux questions sur les réglages. Il y a trois mouvements possible pour une coque, le roulis (d'un bord sur l'autre), le tangage (avant arrière) et le lacet (lié à la trajectoire, oscillation entre la gauche et la droite par rapport à une trajectoire idéale)1.


Sieste sur les tapis de sol. Nous ressortons à cinq heures dans un huit composé des deux quatre du matin (avec Nathalie à la place de Philippe). J'ai changé mes réglages. Cela bouge toujours beaucoup. Il fait vraiment très chaud. A chaque arrêt Sybille fait passer un vaporisateur de coiffeur, j'ai l'impression d'être un bonsaï qu'on asperge. Nous rentrons à six et demie et je fais un tour en skiff, juste une boucle, pour m'assurer que je sais encore ramer (tout cela est très pertubant).

Barbecue "à la plancha" dans le soir qui tombe. Sybille est une fan de Dalida, danse sur Bambino et chante et mime Gigi l'amoroso. C'est une fantasque, fataisiste et fantastique animatrice.
Nous attendons la nuit pour faire une sortie dans le noir (l'un des entraîneurs est plutôt contre: les risques de collision sont élevés) afin de travailler les sensations.


Mince croissant de lune, beaucoup d'étoiles. C'est magnifique. Je prends conscience que la hauteur de mains requise est plus basse qu'en couple et que c'est plaisant. Un premier aller-retour, le bateau tient mieux que cette après-midi, Jean remplace Micheline au cinq, une troisième longueur, JP, l'entraîneur que je connaissais muet au club, chante du bel canto sur le canot moteur silencieux. Je vois trois ou quatre étoiles filantes, c'est la saison, il faut faire un vœu, prière spontanée.

Déjà l'heure de rentrer.


Note
1 : en réalité il y en a six, voir figure I.19 p.32.

Cuite

Lever à six heures, une heure et demie sur les fichiers Excel pour envoyer du boulot à mon équipe qui va être désespérée de s'apercevoir que je pense encore à elle.

En retard, en retard. H. va chercher les croissants, commence à ranger la farine, la balance, le batteur à œufs… j'ai honte, j'ai tout laissé en plan hier.
Quand je descends je fais la vaisselle du gâteau de la veille, il fait bon sur la terrasse, on annonce enfin des températures estivales (zut, juste pour le stage, moi qui espérais un petit 21°) mais la table est trempée de rosée, impossible de petit déjeuner dehors. Café, croissants, je suis prête.

Axelle passe me chercher, direction Le Creusot. Nous repérons un restaurant à Ecuisses le long du canal — fermé, nous déjeunons dans un restaurant de viande quelconque. Arrivées à deux heures pour le café, nous avons fait bande à part, le reste des rameurs a préféré un "repas tiré du sac".

pique-nique sur la terrasse du club d'aviron du Creusot


Le bassin est une déception: un lac de deux kilomètres de long. Pourquoi ne pas avoir fait cela à Fontainebleau, avec nos vingt kilomètres? C'est uniquement une affaire de team building, la nécessité psychologique de sortir les individus de leurs habitudes pour les obliger à se concentrer sur l'instant présent.

Nous remontons les bateaux sous un soleil brûlant et nous sortons aussitôt car nous devons être au gîte à sept heures et il y a trois quart d'heures de route (un gîte pour vingt-deux, ce n'est pas si simple à trouver).

Quatre de pointe (dit «quatre sans») de filles (Clarisse, Sybille, Nathalie, moi). Onze kilomètres, ça tangue, ce n'est pas trop inconfortable mais pas du tout au point. Bref, beaucoup de travail en perspective.

Papillons au noir sur le ponton au retour, à plusieurs reprises j'ai peur de tomber, j'ai pris un coup de chaud. Dans le fond, ce qui me fait peur, ce serait de me donner en spectacle et que le groupe dût s'occuper de moi. Je vais m'allonger sur les tapis de la salle de sport.
Cinq ou six se baignent dans le lac, nous voyons partir en combinaison trois triathlètes, le ciel se couvre, nous rentrons tous les bateaux dans les hangars: il paraît qu'il ne faut rien laisser dehors la nuit.

Le gîte est au Mont-St-Vincent, belle campagne française, vaches et vallons, nuages noirs, éclairs à l'horizon et soleil à travail des voiles de pluie.

Chambre de quatre (deux lits superposés), installation, qui ronfle, qui a besoin de la fenêtre, dîner, c'est sympa mais c'est long, je ne tiens pas assise. Bonne nouvelle, il y a du wifi.

Fléchissement

Mail à Sybille, organisatrice du stage au Creusot: «C'est OK, je viens. Si tu veux un virement, envoie un RIB. Sinon chèque.»

Aussitôt les questions en avalanche: «Es-tu babord ou tribord? Es-tu vaccinée? Je viens de t'envoyer le compte rendu de notre dernière réunion.»

J'ai été rajoutée au groupe WhatsApp, preuve ultime de mon intégration au projet.

Organisation des vacances

Très tôt le matin je réserve un hôtel pour Vienne et deux billets d'avion.

Je découvre avec ahurissement le choix des menus possibles:

choix des menus proposés par austrian air line


Je fais une recherche Google: le «Jain menu» est un menu pour la communauté Jaïn, strictement végétalien (vegan, rien d'origine animale), sans oignon ni ail ni aucune racine végétale.
Surprenant que ces gens-là prennent l'avion, mais pourquoi pas.

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Je reçois un mail de Sybille, le genre de rameuse dont je n'imaginais pas qu'elle connaissait mon existence (fierté). Elle organise un stage de perfectionnement au Creusot du 12 au 15 août, soit deux jours avant mes billets d'avion.
C'est chaud.

Je pose la question à H.
Refus catégorique.
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